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8 août 2013

La mOrt du rOi TsOngOr

9782253108610-TLa mort du roi Tsongor
de Laurent Gaudé

 

Ed. Actes Sud
Coll. Le livre de poche
5,90€ / 2002 / 219 p.

 

La 4ème de couverture : Dans une Antiquité imaginaire, le vieux Tsongor, roi de Masaba, souverain d'un empire immense, s'apprête à marier sa fille. Mais, au jour des fiançailles, un deuxième prétendant surgit. La guerre éclate : c'est Troie assiégée, c'est Thèbes livrée à la haine. Le monarque s'éteint ; son plus jeune fils s'en va parcourir le continent pour édifier sept tombeau à l'image de ce que fut le vénéré – et aussi haïssable – roi Tsongor. Roman des origines, récit épique et initiatique, le livre de Laurent Gaudé déploie dans une langue enivrante les étendards de la bravoure, la flamboyante beauté des héros, mais aussi l'insidieuse révélation, en eux, de la défaite. Car en chacun doit s'accomplir, de quelque manière, l'apprentissage de la honte.

Gaude-La-mort-du-roi-TsongorMon avis : Ce livre, cela fait plus de dix ans que j'avais envie de le lire, sans jamais en avoir eu l'occasion. Lorsqu'il est sorti, j'étais en Terminale. Mon lycée avait fait venir un libraire pour nous présenter les romans de la rentrée littéraire. Il nous avait décrit La mort du roi Tsongor comme un véritable chef d’œuvre. La couverture était énigmatique et le format inhabituel. Mais bon, je m'étais concentré sur les livres au programme et non sur les romans contemporains.
Depuis plus d'un an maintenant, ma collègue PP (et amie également) ne me parle que de Laurent Gaudé. Laurent Gaudé par ci, Laurent Gaudé par là. Même ses élèves de troisième ont étudié Laurent Gaudé cette année. D'ailleurs elle a eu raison puisqu'il est tombé au Brevet. Je n'avais jamais lu Laurent Gaudé mais son effervescence m'intriguait. Alors, quand en juillet j'ai découvert que c'était lui qui avait écrit La mort du roi Tsongor, je n'ai plus hésité une seconde avant de me le procurer.

Et j'ai bien fait ! Comme dirait PP : GRANDIOSE !

La mort du roi Tsongor est une réécriture des plus grands mythes antiques. On croirait relire l'Iliade adapté à la sauce contemporaine. Car l'écriture de Gaudé est très contemporaine. Pour autant, elle est fluide, simple, harmonieuse. Une fois que l'on a ce livre en main, on ne le relâche plus avant de l'avoir terminé. Le récit commence dans l'effervescence des veilles de mariage. Tout le monde s'active pour que le mariage de la fille de Tsongor soit le plus beau jamais célébré. Mais tout ce faste est empreint d'une sorte de nostalgie difficile à décrire. Katabolonga, le porteur du tabouret d'or, amène de la langueur dans le récit, et le lecteur garde en tête le titre, qui nous invite à rester prudent : si la fête se prépare, la mort n'est pas loin... Puis c'est l'élément déclencheur : Sango Kerim vient réclamer son dû : la fille du roi qui, jadis, avait promis de l'épouser. Alors toute la dimension tragique commence à se tisser. Que doit faire le roi ? Le fiancé est en chemin, il lui a promit sa fille. Mais Samilia a également fait une promesse, et celle-ci ne peut être rompue. Tsongor a beaucoup d'expérience derrière lui, il a conquit de nombreux territoires et sait ce qu'est la guerre. Il sait la sentir. Et il sait qu'elle est déjà là, aux portes de sa ville bien-aimée, Massaba. Alors Tsongor décide de laisser les autres régler cela pour lui, et meurt. Pour autant, il veut voir comment ses fils géreront la guerre. Il demande à Katabolonga d'attendre pour lui mettre la pièce d'or dans la bouche. Et pendant tout le récit, son fantôme assistera, impuissant, à la guerre, à la malédiction à laquelle sa famille n'échappera pas. 

« Je suis le roi Tsongor et j'ai sur mes joues et au creux de mes mains autant d'années que tu as de cheveux. La vie pèse de tout son poids sur moi. Il viendra bientôt un jour où mon corps sera trop vieux pour la porter. Je me courberai. Je m'agenouillerai. Et je la déposerai à terre, devant moi. Sans amertume. Car elle fut riche pour moi. » (p.42)

Alors la guerre commence. Une guerre impitoyable, sous les remparts de Massaba. Une guerre pour une femme qui sera vite oubliée. Une guerre qui durera des années, une vie entière. Une guerre qui laissera plus de morts que de vivants. On pense à Troie. On pense à Hélène, à Agamemnon, à Pâris. On pense à Priamaussi, quand Kouame, le fiancé, se rend dans le campement ennemi :

« Kouame sentit que la défaite était là. Qu'il tomberait ici, à Massaba, au milieu des cris de joie des assaillants. Alors, une nuit, sans dire un mot à personne, il se défit de son armure, endossa une longue tunique sombre et quitta la cité. La nuit était lourde et ne sentait rien. Il traversa comme une ombre la grande plaine qui avait été le lieu de tant de combats, et monta vers les collines. Arrivé là, il se faufila à travers le campement avec pour seule arme un poignard. Il passa au milieu des hommes et du bétail d'un pas décidé […] et doucement, sans faire de bruit, il pénétra dans la tente de Samilia. » (p.150-151)

On pense à tout ces héros tragiques, obligés de tuer père et mère, frère et sœur, pour garder leur honneur. On pense, à Achille, bien sûr, quand meurt Danga :

« Son frère Danga lui ouvrit le ventre et répandit à terre ses entrailles. Dans un dernier effort, il parvint à frapper Danga au pied. Du sang jaillit du tendon sectionné mais Danga riait. Il avait gagné. […] Il laissa le cadavre de son frère derrière lui et voulut courir à Massaba pour ouvrir les portes de la ville en seigneur. Pour jouir de son bien. Mais de sa blessure, le sang continuait à couler. Il ne pouvait plus marcher et s'affaiblissait. […] Lorsque Danga expira, sans avoir pu atteindre les portes de la ville, ce fut un immense silence qui s'abattit sur Massaba. Il n'y avait plus personne. » (p.202)

Samilia représente a elle seule toutes les femmes de la tragédie. Cette guerre a été déclenchée pour elle. Mais elle n'y est pour rien. Son honneur lui fait hésiter entre ces deux hommes. Elle ne peut choisir. Ses frères choisissent pour elle. Mais il n'y a pas de bon choix. Alors elle reste en retrait, attendant patiemment que la guerre se finisse. Mais encore une fois, on ne la laisse pas en paix. On l'accuse de tous les maux, on lui demande de se sacrifier. Samilia est à l'image d'Antigone. Ses frères s'entretuent et elle part sur les routes, jusqu'à disparaître.

« Je n'ai pas su choisir, pensa-t-elle. Ou je me suis trompée. […] Non. Ce n'est pas cela. […] Il n'y a pas de choix possible. J'appartiens à deux hommes. Oui. Je suis aux deux. C'est mon châtiment. Il n'y a pas de bonheur pour moi. Je suis aux deux. Dans la fièvre et le déchirement. C'est cela. Je ne suis rien que cela. Une femme de guerre. Malgré moi. Qui ne fait naître que la haine et le combat. » (p.153-154)

Alors que le récit décrit les batailles et les lamentations à Massaba, le lecteur suit parallèlement les errances de Souba, le plus jeune fils de Tsongor, qui lui avait confié une dernière tâche avant de mourir. Son périple à travers le continent nous amène a découvrir l'ampleur des civilisations représentées dans le récit de Gaudé. Si le siège de Massaba est très proche de celui de Troie, Gaudé ne se contente pas de parler de l'antiquité grecque. A travers le périple de Souba (qui est chargé de construire sept tombeaux pour son père), on découvre que Gaudé nous parle plus largement de toutes les antiquités. Pour ne prendre qu'un exemple, l'un des tombeaux nous fait étrangement penser à l'armée ensevelie de X'ian :

« Pour Tsongor le guerrier, le chef d'armée, le stratège militaire, il creusa d'immenses salles troglodytiques dans les hauts plateaux rocailleux des terres du Centre. Là, à plusieurs mètres sous terre, il commanda aux artisans des milliers de statuettes de guerriers. De grandes poupées d'argile. Toutes différentes. Il les disposa dans les caves sombres des souterrains. Une armée immense de soldats de pierre tapissait le sol. Comme un peuple de soldats pétrifiés, prêts, à tout moment, à se mettre en branle. Attendant patiemment le retour de leur roi pour marcher à nouveau» (p.144)

Ce roman est effectivement un chef d’œuvre. Il est grandiose, il fait réfléchir et on a vraiment l'impression d'avoir lu quelque chose d'extraordinaire. Le seul petit bémol que je lui accorderais, c'est qu'il faut quand même être un peu initié pour comprendre toutes les références (je suis d'ailleurs certaine d'être passé à côté de certaines), et si cette lecture est passionnante, c'est surtout si on cherche et si on trouve ces références.

La mort du roi Tsongor a reçu le Goncourt des Lycéens en 2002.

+ d'infos :
-La présentation de l'éditeur
-Les 89 critiques sur Babelio

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Commentaires
0
J'ai eu la chance de rencontrer l'auteur !! Magnifique comme ses livres.
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P
On dirait que Laurent Gaudé fait l'unanimité... :-)
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S
Une merveille en effet, mon préféré de l'auteur
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N
Qu'est-ce que j'aime cet auteur !! Et ce roman est effectivement magnifique !
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M
Un très belle lecture, effectivement... Comme chacun des romans de Laurent Gaudé! Jusque-là je n'ai jamais été déçue!
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