13 février 2010
De la cOnstante macabre à l'évaluatiOn par cOntrat de cOnfiance
Cette semaine j'ai asisté à une conférence d'André Antibi, invité par la direction de mon établissement pour nous parler de l'évaluation.
Le titre de la conférence est "De la Constante Macabre à l'évaluation par Contrat de Confiance".
André Antibi est professeur de mathématiques à l'université de Toulouse, chercheur sur l'évaluation. Il est l'auteur de La Constante Macabre (2003).
Le Mouvement contre la Constante Macabre est maintenant soutenu par le Ministère de l'Education Nationale.
Qu'est-ce que la Constante Macabre ? On part du constat que sous la pression de la société, les professeurs se sentent obligés, inconsciemment, de mettre un certain nombre de mauvaises notes pour être crédibles. Ainsi, quel que soit le niveau de la classe, on retrouvera toujours un tiers de bons élèves, un tiers d'élèves moyens et un tiers de mauvais élèves. Un enseignant qui mettrait que de bonnes notes serait vite stigmatisé comme laxiste.
Antibi a fait une grande enquête auprès d'enseignants, il en résulte que seulement 1% affirme que cette Constante Macabre n'existe pas. Reconnaître que la Constante Macabre existe, c'est reconnaître que l'on est injuste dans sa notation.
Il y a bien sûr des exceptions, des disciplines où elle est beaucoup moins présente (musique, arts-plastiques, EPS... notamment parce que l'on donne pas à ces disciplines le rôle de sélectionneur)
Les enseignants qui évaluent avec "acquis", "en voie d'acquisition" et "non acquis" (c'est souvent le cas dans le primaire) sont encre plus touchés puiqu'ils se sentent obligés de séparer la classe en 3 groupes.
Il y a une confusion entre la phase d'apprentissage et la phase d'évaluation.
Phase d'apprentissage = 11/12è du temps scolaire. On pose des questions pour faire réfléchir les élèves. C'est là qu'à lieu le réinvestissement.
Phase d'évaluation = on doit juste vérifier que les compétences sont acquises. L'élève n'a pas à réfléchir à de nouvelles choses.
Dans l'enseignement professionnel il y a très peu de constante macabre car les élèves étant déjà orientés (et stigmatisés comme "mauvais"), on peut leur mettre de bonnes notes.
"Avoir la moyenne" est l'expression la plus stupide car cela veut dire qu'on considère qu'il est normal qu'une partie de la classe soit en échec. Cette expression n'est utilisée qu'en France et elle est totalement incompréhensible par les étrangers.
Exemple concret : si un prof corrige un paquet de copie et que, rendu à la moitié, il se rend compte que tous les élèves ont 19-20; au lieu de se dire qu'il a réussi son travail et que les élèves ont compris, il va penser qu'il s'est trompé dans son barême et il va le reprendre.
Cette Constante Macabre amène à détruire la confiance en soi des élèves. Ils deviennent ensuite des adultes qui n'ont pas confiance en eux. En France ont dit toujours "peut mieux faire", pas à l'étranger.
La Constante Macabre n'a aucun rapport avec les notes car on la retrouve dans les appréciations. (Antibi n'est pas pour la suppressions des notes).
Actuellement une évaluation est un concours caché : ce n'est pas la note qui compte mais le classement.
Les Conséquences de la Constante Macabre : Les premières victimes sont les enfants des milieux défavorisés. Ce sont eux qui tombent dans le premier tiers. On ne pourra pas supprimer l'échec scolaire tant qu'il y aura la Constante Macabre.
Déterioration du climat de confiance entre les professeurs et les élèves.
Perte de motivation et de confiance en soi des élèves.
Orientation des élèves par l'échec.
Mal-être et stress à l'école et dans le milieu familial. L'enquête PISA montre que la France est en fin de classement sur ce sujet. Il y a toujours une compétition sournoise entre les élèves. Les parents veulement toujours comparer avec les autres élèves de la classe.
Etre en échec scolaire aggrave les problèmes des élèves, provoque une souffrance qui peut être la cause de violences. Les enseignants pensent que donner une mauvaise note en rassurant l'élèvs adoucit les choses, or c'est faux car l'élève ne perçoit pas le discours de la même façon.
Pourquoi y a-t-il tant de propositions de cours particuliers ? Lorsque l'on passe un concours c'est normal car on doit être le meilleur. Cela prouve que les évaluations à l'école sont des concours déguisés.
Antibi est défavorable au contrôle continu pour le Bac dans ce contexte. Selon lui, il n'y a pas de Constante Macabre au Bac. Il y a une rupture entre les devoirs de l'année et le Bac. Mais le problème vient des devoirs, pas du Bac. Une évaluation ne devrait pas être là pour piéger.
A force de faire croire que les matières scientifiques sont les matières exclusives de sélection, on les fait détester aux élèves. C'est pour cela qu'il y a peu d'orientation en études scientifiques (dans le supérieur). Or les matières de sélection sont des modes qui changent. Avant c'était le latin, dans quelques années ça sera autre chose que les mathématiques.
Pourquoi est-ce un phénomène inconscient ?L'être humain n'aime pas sortir des normes, il aime suivre la tradition. La moyenne de 10/20 est une tradition.
Il y a une confusion entre la phase d'apprentissage et la phase d'évaluation. Tous les élèves n'ont pas le même niveau, ne comprennent pas à la même vitesse. C'est normal pendant la phase d'apprentissage. La phase d'évaluation doit avoir lieu quand tous les élèves ont fini leur phase d'apprentissage.
Le lien avec la courbe de Gauss : La courbe de Gauss est un phénomène naturel que l'on retrouve donc partout - dans ce qui est naturel. Mais est-ce que la répartition des notes est un effet naturel ? Absolument pas car il y a des contraintes (programmes, missions du prof...). Dans certains IUFM on apprend aux enseignants qu'un bon devoir c'est quand ils ont une courbe de Gauss à 10!
Les 10 trucs pour obtenir la Constante Macabre (ce qu'il ne faut pas faire) :Difficulté des questions posées : on ne devrait déjà pas parler de "difficulté" car c'est différent de "l'évaluation des compétences". Si c'est difficile, il est normal que la majorité soit en échec. Une question est difficile lorsqu'elle s'éloigne de ce qui a été vu en cours.
La question cadeau : souvent, les professeurs enlèvent les questions auxquelles ils pensent que tous les élèves vont savoir répondre.
Des sujets trop bien équilibrés : On commence par des questions faciles, puis moyennes. La dernière question est uniquement destinée aux bons élèves.
Le barême : Quand on corrige et qu'il y a trop de bonnes notes, on pense que c'est un contrôle pour rien. On se dit qu'on s'est trompé dans le barême.
Rigueur dans la rédaction : Lors d'un devoir, on demande aux élèves de savoir mieux écrire que d'habitude.
Des sujets trop longs : Si l'élève connaît toutes les réponses mais qu'il na pas le temps de les écrire, ça pose problème !
A la recherche d'un beau sujet
Désir de "balayer" le programme dans le contrôle
La question réservée à l'élève Musclor : certains enseignants réservent une question au très bon élève.
Une drôle de générosité : Ajouts de points, ne prendre que 2 notes sur 4 ...
Le Système EPCC : Evaluation Par Contrat de Confiance
Ce système est facile à mettre en place, il ne nécessite pas de moyens supplémentaires ni aucun changement de programmes.
1ère étape : Annonce du programme du contrôle
Donner une liste écrite des questions à réviser. Ces questions doivent avoir été corrigées en classe. L'apprentissage par coeur est interdit. Lors du contrôle, on repose exactement les mêmes questions.
Partout on demande à l'élève de restituer ce qu'il a appris, sans piège (permis de conduire...), pourquoi pas dans l'éducation ??
On ne donne pas le sujet à l'avance ! On donne une liste de questions, l'élève devra en traiter quelques unes.
On garde quelques points pour une questions qui n'était pas dans la liste mais dont le programme a été vu !
Chaque capacité du programme doit être évaluée au moins une fois.
Il faut que le programme de révisions soit raisonnable car il y a d'autres disciplines !!
2ème étape : Une séance de questions-réponses par contrôle
Objectif : permettre aux élèves qui n'ont pas compris certains points de demander des explications. La séance est organisée entre l'annonce du programme et le jour du contrôle.
3ème étape : Contenu et correction de l'épreuve
Faire attention à la longueur du sujet.
Les questions avec beaucoup de points doivent être faisables par tout le monde !
On ne fait pas de variations d'énoncé car sinon l'élève est perdu et perd confiance.
L'exigence dans la rédaction doit être la même que d'habitude.
Il est normal qu'un élève finisse avant les autres car certains ont besoin de plus de temps.
A la limite, pour les bons élèves on peut poser une question non notée et hors barême qui pourra les valoriser.
Il ne faut pas croire que tous les élèves sont au même niveau. L'égalitarisme est contre productif.
Bilan du système EPCCSi tout est bien fait, il n'y a plus de Constante Macabre. On instaure un vrai climat de confance. Les moyennes de classes augmentent (2 ou 3 points en général). Mais les notes restent étalées.
Le professeur change de statut, il n'est plus là pour piéger les élèves.
Du coup, quand il y a de l'échec, ce n'est plus de l'échec artificiel. On sait donc qu'il y a une vraie difficulté et on peut essayer de la prendre en charge.
Les élèves travaillent beaucoup plus : plus grande concentration en classe, révisions plus appronfondies, prise de notes plus consciencieuse.
Lorsqu'on met en place ce système, le professeur peut le faire seul ou en équipe, mais il est bon de le signaler au chef d'établissement, aux parents, aux collègues.
Il faut alterner les devoirs EPCC et les autres, surtout pour les classes à examen.
+ d'infos :
-Le Mouvement contre la Constante Macabre
-Interview de Antibi sur EducPros.fr
-Plus d'un millier d'expérimentateurs pour Antibi (café Pédagogique)
-Présentation du système EPCC par Antibi
Le dessin est tiré du site MCLCM
Tags : constante macabre, EPCC, évaluation